Elvin Bishop
Questions préparées par Luc Brunot et Didier Demeslay. Entretien réalisé par Luc Brunot.
Traduction par Dominique Turgot.
Remerciements à l'association Jagoblues.
Crédits photos : Florent Nogues.
Publié dans Bands Of Dixie n°99 (juillet - août 2014)
Ça faisait un bon moment que Bands Of Dixie projetait d'entrer en contact avec Elvin Bishop... Las, nous avions beau scruter à la loupe chaque détail de notre carte du Dixieland, impossible de localiser ce patelin du nom de San Francisco où réside celui qui fut l'un des artistes majeurs du label Capricorn. Et si nous l'avons finalement rencontré à moins de 100 miles de Macon, ce ne fut pas dans un juke joint de Géorgie mais en Bourgogne où Elvin Bishop venait donner ce 28 juin le premier
concert français de sa carrière. Le Talant International Blues Festival proposait l'une des plus alléchantes programmations blues 2014 de l'hexagone ; il en était la tête d'affiche. Unique date en Europe, c'était le concert à ne pas rater pour voir enfin sur scène non seulement une « légende » mais aussi un artiste dont les albums live, incontournables, dégagent une telle ambiance qu'on n'a que l'envie de vivre directement de tels moments. Outre le plaisir du concert, nous eûmes auparavant celui de rencontrer Elvin. Un entretien qui fût bien sûr l'occasion de discuter des années Capricorn mais sa riche carrière et une actualité, marquée par la sortie de « Can't Even Do Wrong Right », le 19 août, qui le voit revenir chez Alligator Records, invitaient à aborder d'autres thèmes.
Nous nous installons pour l'interview et profitons de ce, le moment pour présenter quelques numéros du magazine à Elvin Bishop. Voyant la photo de Jimmy Hall, il confiera plus tard qu'il l'adore et le trouve vraiment charmant. C'est Elvin qui pose les premières questions. Je cite Otis Rush comme un des bluesmen pour moi les plus bouleversants. Elvin approuve (« c'est un super artiste. ») et reviendra plusieurs fois à lui, nous contant notamment une aventure cocasse.
La crainte que le rédacteur en chef ne comprenne pas bien l'intérêt de la publication d'une interview de Bands Of Dixie par Elvin Bishop ne pouvant être écartée, le retour à l'idée initiale d'une interview d'Elvin bishop s'opère. La première question porte sur les concerts du Fillmore East en mars 1971.
Tu étais à l'affiche avec Johnny Winter et l'Allman Brothers Band en mars 1971 pour deux concerts et, à la fin, tu as jammé avec les Allman Brothers. Était-ce la première fois que tu les rencontrais ?
Je n'en sais trop rien. A cette époque, nos routes se croisaient très souvent. Je me rappelle avoir joué avec eux à l'occasion de plusieurs concerts sur la côte Est. C'était une époque où tout le monde jammait. En ce qui concerne les concerts, Les managers ne se souciaient pas uniquement de l'aspect financier et les groupes pouvaient jammer tout le temps, dès qu'une occasion se présentait. Dickey, Duane et leurs acolytes, BB King, Eric Clapton, Jimi Hendrix, Buddy Miles, tous jammaient à la moindre occasion. C'était presque une chose normale dans les années soixante-dix. Ce n'est plus vraiment le cas maintenant.
Ce n'était donc pas la première fois que tu jouais avec eux ?
Non, je ne pense pas que ce fut la première fois. Je me rappelle du concert à San Francisco où Dickey m'a présenté aux gens de Capricorn Records. On est allé dans une chambre et là j'ai pu jouer quelques-uns de mes titres à Phil Walden. Il m'a ensuite signé(1).
C'est Dickey qui t'a donc présenté à Walden. Était-ce le seul au sein du groupe avec lequel tu avais noué des liens d'amitié ou avais-tu gardé également des relations avec les autres membres de l'Allman Brothers Band ?
Non pas vraiment, on n'avait pas gardé le contact.(2)
Avec Dickey Betts non plus ?
En fait, je ne l'ai pas vu beaucoup pendant toutes ces années mais à chaque fois qu'on s'est rencontrés, c'était très chaleureux. Notre relation était très amicale. C'est un mec sympa. La dernière fois que j'ai joué avec lui, c'était lors d'une cérémonie pour des Southern Rock Grammies. Tu as dû en entendre parler.
Je reviens un instant sur le Fillmore East. J'ai lu, dans une interview que tu as donnée(3), qu'il y avait eu une alerte à la bombe et que le concert avait dû être interrompu.
Ah oui, je m'en rappelle.
Rassure-toi, la question ne concerne pas l'alerte en elle-même. Tu disais dans cette interview que tu avais jammé ce jour-là de deux à six heures du matin.
C'était très tôt le matin. Je pense qu'on a joué « Drunken Hearted Boy »(4) et il me semble que les morceaux duraient très longtemps.
Ce morceau fut-elle la seule jam ?
Je ne rappelle pas exactement On a joué plusieurs titres. Ma mémoire me fait un peu défaut. Et n'oublie pas qu'à cette époque, on picolait pas mal.
Tu as donc plus tard signé chez Capricorn Records. Pour le premier album réalisé chez eux, Capricorn il y a eu un changement de line-up. Quelque temps avant, c'était l'Elvin Bishop Group et là tu avais des musiciens complètement différents. Était-ce ton choix ? Ou alors était-ce la conséquence d'une volonté de la maison de disques ?
En fait, comme dans tous les autres groupes, la composition du mien évolue sans cesse : les gens vont et viennent. C'est un processus assez normal. Les gens ont envie de changer de vie, de partir sur d'autres orientations musicale, etc. Les albums sont des points dans le temps qui fixent une image du groupe mais le personnel peut en fait changer plusieurs fois entre deux d'entre eux.
Aucun changement ne fut lié à une demande de Phil Walden ; il ne m'a rien imposé ; il aimait bien ce que je faisais. Le groupe que j'avais auparavant était plus orienté blues et rhythm 'n' blues parce que c'était ce qui m'intéressait le plus mais, vois-tu, quand tu viens de l'Oklahoma comme moi, tu as la country music dans la peau : pas besoin de la pratiquer, elle finit toujours par ressortir. J'aimais aussi le gospel et des choses comme ça. Le rock sudiste a pour moi le cadre qui me permettait de réaliser enfin ce qui me trottait dans la tête depuis un bon bout de temps : avant ça, il n'y avait pas de foyer pour la musique que je voulais faire. Et Capricorn m'en a donné l'opportunité. Ceci dit, c'est la seule et unique fois dans ma carrière où je me suis retrouvé avec une catégorie musicale vissée au cul et il se trouve que ça collait plutôt bien à ce que je faisais. Sinon, le reste du temps, je suis juste un type bizarre avec une musique différente de toutes les autres et dont l'industrie musicale ne sait pas quoi faire...
Comment as-tu trouvé ces musiciens ?
Pour chaque musicien, c'est différent. À l'époque, je jouais partout, à travers tout le pays. On jammait souvent ce qui offrait ainsi l'opportunité de rencontrer bon nombre de musiciens.
Pourquoi avoir ajouté à ton groupe un deuxième guitariste comme Johnny Vernazza ?
J'ai toujours aimé le rhythm 'n' blues pour les harmonies de ses cuivres et le gospel pour ses harmonies vocales. Ça ajoute de la richesse. Et deux guitares peuvent quelque part prendre la place d'une section de cuivres. C'est le son qui me fait vraiment vibrer. On me prête trop la volonté de vouloir planifier les choses. En fait, je ne prévois pas vraiment ce qui arrive. Je tâtonne jusqu'à ce que je trouve quelque chose qui me plaise et puis je m'en contente jusqu'à ce que je trouve autre chose.
Vous avez tous les deux, avec Johnny V, un son très particulier, très reconnaissable, comme sur « Juke Joint Jump » et ce morceau, « Now She's Gone », que tu as enregistré avec le Marshall Tucker Band...
En fait, ça c'est fait comme ça, ce son me plaisait, c'est aussi simple que ça.
Capricorn Records avait deux producteurs principaux, Paul Hornsby et Johnny Sandlin. Tu as, toi, travaillé avec Johnny Sandlin. Pourquoi ce choix ?
Eh bien, je n'en sais rien. Je suppose que c'est lui qui m'a a été assigné par Capricorn. C'était un type sympa. Il a fait du super boulot. Il nous a donné beaucoup de liberté.
Pas mal d'albums Capricorn possèdent un son assez similaire. Johny Sandlin a-t-il tenté de vous rapprocher de ce son spécifique ?
Un son spécialement rock sudiste ? Non en fait, pas trop. Ils nous laissaient faire ce que l'on voulait. Je réalisais très bien la situation dans laquelle j'étais : quand tu montes sur scène, ce n'est que pour donner du plaisir aux gens et pas pour les emmerder en leur faisant écouter des trucs dont ils ne veulent pas. Mes goûts musicaux sont très vastes et ce que les gens ne veulent pas entendre, je peux très bien le jouer à la maison, sous mon porche, pour mon plaisir personnel ou celui de mes plantes ou de mon épouse ! Par conséquent, je jouais assez naturellement pour le public ce que je pensais qu'il aimait. S'il y a eu un effort pour « faire rock sudiste », en tout cas, ce n'était pas conscient de notre part.
Tu as vécu un grand nombre de sessions d'enregistrement dans ta carrière. Les séances Capricorn pour « Let It Flow » furent-elles différents des autres par l'organisation, l'ambiance, etc. ?
Je ne sais pas, je me souviens juste avoir passé un très bon moment. L'ambiance était détendue, ils m'ont laissé faire les choses comme je l'entendais. Ce que je voulais faire correspondait de toute façon au genre de musique qu'ils souhaitaient publier. La seule différence avec mes autres expériences de studio est que Macon, en Géorgie, est loin de la Californie ! Mais comme je venais de Tulsa dans l'Oklahoma, une ville du Sud, l'atmosphère de Macon ne m'était pas étrangère. Je n'étais pas en terre inconnue. Quant aux musiciens qui ont participé aux sessions, il faut se souvenir, comme je le disais tout à l'heure, que les années soixante-dix étaient une époque où les musiciens avaient l'habitude de saisir chaque occasion qui se présentait pour taper le boeuf. Beaucoup plus qu'aujourd'hui où tout est calculé et dirigé par les managers ; ce sont les hommes d'affaires plus que les artistes qui choisissent. À l'époque, on faisait ce qu'il nous plaisait de faire. Les musiciens avec qui j'ai enregistré, ou aux enregistrements desquels il m'est arrivé de participer, sont des gens que j'avais rencontré dans les studios, comme Sly Stone et Stephen Stills, ou bien des gens que j'avais l'habitude de croiser sur la route, comme Charlie Daniels, Troy Caldwell ou Dickey Betts. L'atmosphère des sessions pour cet album était de fait assez détendue. Tout s'est fait de manière assez naturelle - rien d'inhabituel en tout cas au regard des standards de l'époque.
La question suivante figurant sur ma liste est relative à la pêche. Alors que je m'interroge sur l'opportunité de la poser, Elvin Bishop me donne sa carte de visite... et par là même balaye toute hésitation. Par une coïncidence étonnante, ce thème de la pêche, c'est justement ce qui saute aux yeux lorsqu'ils se posent sur cette carte !
Un artiste français(5) vient de sortir un album qui s'appelle « Gone Fishin' ». Il y fait un parallèle entre la pêche à la mouche et la musique. Ta carte de visite, les titres de plusieurs ou la pochette de "Let It flow" laisse deviner que tu es toi-même pêcheur.
Oui c'est vrai.
La pêche a-t-elle une grande importance dans ta vie ? Penses-tu qu'elle a eu une influence sur ta musique ?
Eh bien en fait, j'ai écrit quelques morceaux sur ce sujet. Outre la pêche, je suis également très impliqué dans le jardinage. Ce sont des choses totalement différentes de la musique. Je ne suis pas du genre à travailler beaucoup la musique, à répéter, etc. J'ai besoin d'autre chose. En pratiquant ces deux activités, je peux me vider l'esprit, me recharger et repartir vers mon activité habituelle. Je n'exerce ces activités qu'à petite dose, sur des périodes assez courtes, je ne suis pas très productif. Ce que j'aime, c'est pouvoir faire quelque chose de très différent, ce qui permet de me libérer l'esprit. Quand tu pêches, le poisson est là, il n'est pas là, tu es assis, tu attends, tu penses à autre chose. De temps à autres, une idée de musique te traverse l'esprit. Ceci dit, je ne pêche pas autant que je jardine. Le jardinage permet en plus de produire de la nourriture.
Peux-tu nous raconter l'histoire du serpent ?
Ahahahah ! C'est sur YouTube. Ils ont fait un documentaire avec Pinetop Perkins, Little Smokey Smothers et moi-même à l'occasion d'un concert que l'on a donné à Clarksdale, Mississipi. À un moment, on est en train de pêcher dans le Mississipi. C'est une région où existe un serpent d'eau venimeux très dangereux, le mocassin d'eau. Sa morsure peut-être mortelle. Il mesure entre un mètre cinquante et un mètre quatre-vingt de long et nage sous l'eau. Un serpent très effrayant. On est donc en train de pêcher et de faire une interview quand voilà ce mocassin d'eau qui s'approche de nous. Je dis aux autres de ne pas s'affoler car très souvent ces serpents finissent par rebrousser chemin. Mais celui-ci a continué à se diriger vers nous. Il s'est d'abord approché de Little Smokey. Lui qui a habituellement du mal à marcher, là, il a balancé sa chaise et il est parti en courant se réfugier sur la colline avoisinante. Incroyable ! Le serpent s'est alors retourné vers moi. Pinetop Perkins, lui, était le seul à être encore assis. Il était vieux. Il devait avoir dans les quatre-vingt-quinze ans. Il avait besoin d'une énorme canne pour se déplacer. Il s'en est saisi et s'est alors mis à taper tout ce qu'il pouvait sur le serpent ! Tu peux voir cette scène, ça a été mis sur YouTube.
Little Smokey, c'est lui qui je crois qui t'a enseigné la guitare Chicago blues ?
Oui c'est vrai. Il a été super avec moi. Je l'ai rencontré quand je suis arrivé à Chicago. Il m'a invité chez lui. Ce fût une grande expérience. Il m'a ouvert son coeur. C'était à une époque où les blancs et les noirs ne se côtoyaient pas vraiment. Il était inhabituel que des gens de couleur différente fassent des choses ensemble. Beaucoup de gens, noirs comme blancs, étaient élevés dans un système où il n'y avait aucune cohabitation possible. Quelques personnes avaient l'esprit plus ouvert. Ils s'intéressaient à l'humain avant tout. Little Smokey était de ceux-là.
Revenons à l'époque Capricorn. À ce que j'ai pu lire, tu t'es installé un temps en Géorgie.
Non. En fait si j'ai bien enregistré là-bas, je vivais en Californie.
« Let It Flow » est le seul album que tu ais enregistré à Macon...
Je pense que j'en ai enregistré deux là-bas. Mais je suis sûr que tu dois le savoir mieux que moi. Comme je disais auparavant, ma mémoire me fait quelques infidélités. Quand même, je pense que « Juke Joint Jump » a dû être aussi être fait chez Capricorn.
Il me semble qu'il a été enregistré en Californie. C'est ce qu'indiquent les crédits. Une erreur peut être ?
Non, je suppose que ce doit être ça.
Il était produit par Johnny Sandlin également.
Oui.
Le son de ta musique a constamment évolué au cours des années.
Oui c'est exact.
Un autre des musiciens de l'Elvin Bishop Group s'est retrouvé chez Capricorn. Avant d'aborder la question que j'ai en tête, j'ai une petite précision à te demander concernant son prénom. Il est crédité sur certains albums en tant que Steve Miller tandis que d'autres parlent de Stephen Miller. Quel était le prénom qui était utilisé en fin de compte ?
Le Steve Miller dont tu parles se faisait appeler Steve Miller, tandis que l'autre gars, celui qui est devenu une vedette, se faisait appeler « le vrai Steve Miller » !
Steve Miller a rejoint Grinderswitch, qui était alors aussi un groupe de l'écurie Capricorn. Ta présence sur ce même label a-t-elle un lien avec cet évènement ?
Non, je n'ai joué aucun rôle là-dedans - en tout cas, pas à ma connaissance. Je n'ai pas appelé Capricorn pour qu'ils les signent. Le nom « Grinderswitch » renvoie à un épisode de la culture américaine dont tu n'as probablement jamais entendu parler. Il trouve son origine dans un show télé qui s'appelait « Hee Haw », lié au Grand Ole Opry, cette émission de radio mythique de la musique country. Dans ce show, il y avait une femme du nom de Minnie Pearl, sempiternellement habillée comme dans l'ancien temps, et coiffée d'un chapeau qui portait toujours son étiquette de prix. Elle s'était inventée ce personnage comique, censé venir d'une bourgade rurale du nom de Grinder's Switch. Tout était bien sûr inventé, mais c'est de là que le groupe a tiré son nom. C'était un groupe de rock sudiste qui n'a jamais vraiment accédé au vedettariat, mais qui a connu une carrière honorable pendant un temps.
À certaines périodes, comme celle des deux premiers albums Capricorn, tu es le seul au chant. À d'autres périodes, tu as avec toi un chanteur. Existe-t-il une raison à ces alternances ou est-ce là encore le fruit de l'évolution naturelle que tu évoquais
Là encore, je ne planifie rien. J'ai toujours aimé Mickey Thomas, sa manière de chanter, son côté gospel que moi je ne pouvais pas avoir. Ma voix n'est pas suffisamment bonne. Je connais mes limites vocales. J'essaye de toujours faire ce qui est le mieux pour les morceaux. Rien n'est prévu.
Comment as-tu rencontré Mickey Thomas ? Était-ce lors de sessions Capricorn quand il venait rajouter des choeurs ?
Non. Il chantait avec un de mes amis, Gideon, un vieux chanteur noir qui avait tourné avec tous les grands groupes de gospel. Son père était pasteur. Il avait une attitude bizarre envers le gospel, surtout les chanteurs. Il les pensait tous hypocrites. Son groupe était influencé par le gospel mais ce qu'il faisait, j'appellerais ça du gospel-rock. Les paroles de ses morceaux n'étaient pas vraiment gospel. Son rêve était d'avoir un groupe interracial avec des hispaniques, des noirs, des chinois... Il parcourait le Sud pour trouver les chanteurs dont il avait besoin pour les harmonies vocales. Il les formait de façon quasiment militaire. C'est comme ça qu'il a trouvé Mickey Thomas, à Cairo, en Géorgie. Il l'a ensuite amené à San Francisco et c'est comme ça que je l'ai rencontré. J'allais très souvent voir Gideon.
[Changeant de sujet] Un point commun que j'ai avec BB King, c'est Bill Szymczyk. Il a produit « The Thrill Is Gone » de B.B. King et pour moi « Fool Around And Fell In Love ».Eh bien, ce sont les seuls hits que nous ayons eu tous les deux.
Quel a été l'impact de ce hit sur ta carrière ?
Ça m'a assuré une rente pour le reste de mes jours ! (Rires.)
Ce hit a-t-il eu un effet sur les ventes de disques ? Trouvais-tu d'avantage de concerts ?
Oui c'est vrai. D'une certaine manière, J'ai eu une petite période gloire. C'est toujours mieux d'avoir un hit que rien du tout. En fait, Ce tube est arrivé presque par accident. L'album avait été planifié, les morceaux choisis. On a donc enregistré tous ces morceaux. Mais le producteur s'est rendu compte que c'était un peu court comme album et il a dit qu'il faudrait ajouter trois ou quatre minutes de plus, enregistrer un morceau supplémentaire. Il nous a demandé si on avait quelque chose de plus. J'ai donc joué ça. Il a dit « C'est pas mal mais il faut un chanteur ». Je l'ai chanté mais ça n'allait toujours pas. C'est alors que j'ai eu l'idée de le faire chanter par Mickey Thomas et le morceau s'est retrouvé sur l'album. Ce fut une superbe idée !.
Mickey était-il dans le groupe à cette époque ?
Oui.
Je n'ai jamais entendu Mickey Thomas chanter avec Jefferson Starship mais je l'ai écouté récemment avec les Bluesmasters. Il chante de manière très différente. Et sur ton nouvel album Alligator il m'a semblé aussi que sa voix avait changé. Tu ne sembles pas d'accord ?
En fait, je pense qu'elle n'a pas changé tant que ça en une trentaine ou quarantaine d'années, c'est même assez inhabituel. Pour moi, il a toujours cette même superbe étendue vocale. Il peut monter très haut. Il maitrise même mieux sa voix maintenant. Il a su préserver celle-ci ; il n'a pas passé son temps à prendre de la coke ou des trucs de ce genre. Certains types comme, comme...
Comme toi ?
Oh non ! (Rires) Non, je ne pense pas que je sois un bon exemple ! Buddy Guy ou Billy Boy Arnold par exemple arrivent à garder leur voix tout au long de leur carrière. Pour ma part, Je n'ai pas noté que sa voix avait tant changé que ça.
L'as-tu entendu avec les Bluesmasters ?
Les Bluesmasters ne sont pour lui, je pense, qu'un projet secondaire. Le fait qu'il y ait des disques qui sortent te conduit peut-être à accorder une importance exagérée à ce que ça représente pour lui. Son truc, de nos jours, c'est plutôt les tournées nostalgiques où il reprend les vieux succès, ceux de Jefferson Starship, « Fooled Around And Fell In Love », etc. Il est pas mal occupé avec ça, ça marche bien. Humainement, c'est quelqu'un de très chaleureux. Il est super.
Sur les pochettes de tes albums, on te voit souvent souriant et il y a pas mal de pochettes assez rigolotes. Est-ce un reflet de l'ambiance de la vie en tournée ?
En fait, je ne sais pas... j'essaye de toujours garder ce genre d'attitude positive.
Pour ton dernier album chez Capricorn « Hog Heaven », tu avais un nouveau groupe. Toujours cette évolution naturelle dont-tu parlais ?
Mickey ne chantait pas là-dessus ?
Non, non. Il y a sur ce disque Amos Garret ou encore Maria Muldaur.
Je ne m'en rappelle pas. Peut-être que Mickey avait déjà quitté le groupe.
As-tu été surpris de le voir rejoindre le Jefferson Starship?
Eh bien, je ne sais pas - tu sais, moi tout me surprend, j'admire ceux qui peuvent prédire les choses ou ne pas s'étonner quand elles arrivent. Mais Mickey a toujours été un peu attiré par tout ce qui est le côté « rock-star », et il a une voix exceptionnelle qui lui permet de vraiment faire tout ce qu'il veut. Donc, vu comme ça, non ce n'est pas étonnant qu'il ait rejoint Jefferson Starship.
La banqueroute de Capricorn t'a-t-elle été préjudiciable ?
Je ne sais pas. Je suppose qu'ils me devaient de l'argent. Je ne le reverrai jamais, alors, pourquoi s'en soucier ?
L'album qui a suivi ceux parus chez Capricorn était sur un label allemand(6).
Mais tu connais tout !!
Peux-tu nous en parler un peu ?
Je ne sais pas comment c'est arrivé. On a fait cet album en Californie. Ce n'était pas forcément une bonne période pour moi. À cette époque, J'avais de mauvaises habitudes qui prenaient le contrôle de ma vie. Je n'ai pas vraiment aimé ce moment de ma vie. Je me rappelle juste que le bassiste du groupe était quelqu'un de vraiment marrant.
Tu as ensuite eu un contrat chez Alligator Records. Comment est-ce arrivé ?
Je leur ai envoyé une bande démo.
Je me souviens de la chronique dans un magazine de blues concernant ton premier album pour Alligator en 1988. Le journaliste n'était pas satisfait de te voir chez Alligator et de te voir enregistrer un disque de blues. Pour lui, tu étais un artiste de rock sudiste et tu devais te cantonner à ce style(7). As-tu eu à faire à des réactions similaires aux États-Unis ?
Pas vraiment ; c'est arrivé deux ou trois fois. Comme tu le sais, les gens qui écrivent des chroniques n'ont pas à passer d'examens ; ils n'ont besoin d'aucun diplôme. N'importe quel trou du cul peut le faire. C'est très présomptueux de la part de cette personne de prétendre savoir ce que d'autres personnes devraient faire de leur vie. Oublie ce type !!!
Quel est la raison de ton retour chez Alligator pour ton dernier album ?
Il m'a semblé que c'était la meilleure chose à faire. Alligator est un très bon label. Bruce Iglauer, le président, est un pote et on a discuté. Ils font un très bon boulot, notamment côté promotion. C'est un label maintenant bien implanté. Du reste, pour ce disque, je ne me suis pas trop préoccupé du côté financier. J'ai surtout envie que cet album soit diffusé et que les gens l'entendent. J'ai pensé qu'ils étaient le mieux placé pour faire ça. C'est certes un petit label, mais il n'existe plus vraiment de gros labels de nos jours.
Delta Groove ne peut pas obtenir les mêmes résultats ?
Non, Delta Groove est un plus petit label, moins bien ancré dans le paysage. Bien entendu, ce sont des gens super et très dévoués - ils font ce qu'ils peuvent et ils le font bien. Mais ils n'ont pas toutes les ressources dont dispose Alligator. Chez Alligator, il y a un personnel nombreux, pas mal de gens qui travaillent la promo, donc ils ont plus d'envergure.
Pour ce nouvel album, tu as enregistré « Honest I do », le titre de Jimmy Reed, pour la quatrième fois. Une version instrumentale cette fois ?
Oui c'est vrai. J'adore ce morceau. J'aime bien cette version instrumentale. Je crois d'ailleurs que les quatre versions sont instrumentales. Oh non, John Németh en chante une. C'est le premier morceau de blues que j'ai entendu à la radio. Tu sais il est parfois dur de faire comprendre aux gens qu'à cette époque, le blues était totalement inconnu des blancs. La seule façon de découvrir le blues pour un blanc était d'aller dans les festivals folk. Le blues était considéré comme une branche de la folk music. C'est comme ça que j'y ai été exposé. J'ai d'abord entendu Leadbelly, Sonny Terry &Brownie Mc Ghee et des gens comme Lightnin' Hopkins, John Lee Hooker. J'ai ensuite écouté les radios dans le Sud, notamment WLAC à Nashville. J'ai entendu « Honest I do » par Jimmy Reed. L'effet que l'harmonica m'a procuré était indescriptible. C'était tard dans la nuit, sur un vieux poste de radio assez imposant. J'étais un gamin et ce n'était pas une heure où j'étais supposé écouter la radio. Il y avait de l'électricité statique, le son craquait, et bon sang, l'harmonica hurlant transperçait tout ça comme un éclair ! Je me suis dit : ah, ça y est !
Tu n'as jamais eu d'harmoniciste dans tes groupes ?
Oh, si, j'en ai eu - mais pas trop. Le truc, vois-tu, c'est qu'en-dehors de mon groupe, j'ai eu la chance folle de pouvoir jouer avec les plus grands harmonicistes du monde : Butterfield bien sûr, Little Walter à deux ou trois reprises, James Cotton encore récemment - quand je pense que lui et moi avons enregistré ensemble en 1963 !!!
Il y a plus de cinquante ans !
Oui, exact.
Sur le nouvel album, tu as quelques invités comme Mickey Thomas et Charlie Musselwhite.
Oui.
Ce n'est pas la première fois que tu joues avec Charlie...
Oui nous avons enregistré ensemble à quelques reprises.
C'est un ami ?
Oui. Je l'ai appelé pour savoir combien il prendrait pour jouer sur mon album. Il m'a répondu qu'il m'inviterait sur son prochain enregistrement et qu'ainsi on serait quitte !
Je sais que si tu as déjà joué en Belgique avec Little Smokey, ce n'est que la première fois que tu viens donner un concert en France. As-tu joué en Europe à d'autres occasions ?
Comme je l'ai déjà dit, on n'a jamais fait de tournée européenne vraiment organisée. On joue sans trop se poser de questions dans les endroits et les festivals qui nous invitent. Il me semble que l'on a fait une petite tournée en Hollande, avec une date en Belgique. C'était il y a longtemps et il devait y avoir des dates sur une dizaine de villes je crois. Je ne savais même pas qu'il y avait une dizaine de villes suffisamment grandes pour faire des concerts en Hollande !
Tu as fait quelques dates en Espagne ces dernières années, non ?
Oui c'est exact. J'aime beaucoup l'Espagne. Pas la dernière fois, mais la précédente, le concert a eu lieu le lendemain de l'invasion de l'Irak par les États-Unis. Mon espagnol est meilleur que mon français « Je suis américain. Je ne suis pas d'accord avec le président. Je n'aime pas la guerre. » [NDLR : en espagnol.]
Comme tu vis en Californie, il te faut parler espagnol.
Oui et non. Ce n'est pas nécessaire mais ça peut aider.
Sur tes albums, il y a pas mal de morceaux blues parlés.
Je parle mieux que je ne chante.
Une dernière question. Elle concerne Little Smokey Smothers. Après votre album live en commun pour Alligator Records(8), tu as oeuvré pour sortir "Chicago Blues Buddies". As-tu dans le projet de publier autre chose ?
Tu sais, Little Smokey est décédé. Et comme il n'y a pas d'autres enregistrements, ça ne pourra pas arriver. Je travaillais sur un nouvel album avec lui. Il y avait de bonnes chansons, mais Little Smokey n'avait pas la santé pour continuer.
Au fait, tout ce que tu as enregistré pour Capricorn a-t-il été publié ?
En fait, je ne sais pas mais tu à mon avis, le jour où j'aurai un nouveau succès, des gens voudront se faire de l'argent et déterreront surement des trucs oubliés...
Détiens-tu les droits des titres enregistrés pour Capricorn ? Alors qu'il y a peu, il était très difficile de trouver ces albums en CD, on voit en ce moment sortir des éditions japonaises.
J'ai les droits d'édition mais je n'ai pas les masters. Je reçois les royalties.
En fait, les musiciens de mon époque ne sont absolument pas informés des rééditions. On les découvre quand les gens viennent faire demander un autographe.
Merci beaucoup à toi pour cette interview.
Merci beaucoup à toi.
1 À San Francisco, Elvin Bishop ouvre pour les Allman Brothers les 8 et 9 octobre 1971 au Winterland Ballroom. Il les retrouve le premier janvier 1974 au Cow Palace. Le livret de « The Tulsa shuffle - The Best Of » (Epic) confirme que la signature fait suite au concert du Cow Palace. D'autres sources parlent au contraire de 1973.
2 Dans une interview pour Swampland/Gritz réalisée par Michael B. Smith en 2002, Elvin indique que ce n'est que peu de temps avant l'entrevue qu'il avait de nouveau croisé leur route, invité à jammer pour eux au Beacon Theatre.
3 De nouveau celle de Michael B. Smith en 2002.
4 Aucune autre jam n'a été publiée et le coffret « The 1971 Fillmore East Recordings » en six CDs, récemment publiée, ne propose rien de nouveau de ce point de vue là. Des recherches sur les playlists que www.allmanbrothersband.com propose pour la plupart des concerts du groupe ne sont pas plus fructueuses. Si d'autres récits divergent, il semble ( Skydog: The Duane Allman Story"
») que cette nuit-là les Allman Brothers ne montèrent pas sur scène avant deux heures pour un concert d'au moins trois heures.
5 Jérôme Piétri « Gone Fishin' » (Fly Fishing Blues, 2014).
6 « Is You Is Or Is You Is not My Baby » (Line Records).
7 « Elvin Bishop est un artiste de rock sudiste qui a sans doute produit dans ce contexte de bons albums comme Let It Flow ou Juke Joint Jump. Qu'il en reste là ! » Marc Radenac, 1993, Soul Bag n°131, page 58 (Précisons qu'il s'agit d'une opinion isolée au sein de ce magazine. Soul Bag publie d'ailleurs des articles et des interviews concernant Elvin Bishop. Quant à ses disques, ils y sont chroniqués de manière favorable voire enthousiaste.)
8 L'excellent « That's My Partner » (2000).
Concert d'Elvin Bishop
28 juin 2014, Talant
Après de superbes concerts d'Eugene Hideaway Bridges et Shemekia Copeland, la soirée est déjà bien avancée lorsqu'Elvin Bishop et ses musiciens prennent possession de la scène, laquelle est située dans une grande et haute salle d'un complexe sportif. Les moyens techniques mis en place que ce soit pour les lumières ou le son sont au niveau de l'évènement et si le son la veille m'avait paru un peu agressif sur la durée, sans doute n'était-ce dû qu'à un coup de fatigue car ce samedi, l'impression ne se renouvellera pas. Même si l'affluence n'est pas toute à fait celle espérée par les organisateurs, il y a un bon public. On y remarque quelques fans d'Elvin à leur T-shirt orné du diable souriant sorti de « Rain' Hell ». Les premiers accords résonnent, il est temps de revenir dans la salle.
Je suis bêtement surpris de voir maintenant Elvin Bishop en salopette... mais bien sûr ! Et comme je n'avais plus en tête la présence de Bob Welsch, la présence de cet autre guitariste me prend aussi de cours alors qu'il est sur les derniers albums d'Elvin et qu'on peut l'apprécier sur le DVD avec le reste de l'équipe. Ruth Davies est élégante à l'arrière avec sa contrebasse effilée. S.E. Willis l'est tout autant au clavier. La barbe et la chevelure blanche il est sans doute pourtant plus jeune que Bobby Cochran, qu'on devine derrière ses fûts. Je me réjouis de la présence d'Ed Earley dont le trombone a conquis mes oreilles depuis « Don't Let The Bossman Get You Down! ». Le temps a passé depuis et l'allure d'Ed avec son costume, sa petite casquette assortie d'où déborde une chevelure frisée et blanchie contribue aussi à la légère crainte que je ressens quand Elvin, lançant l'affaire de quelques pas en cloche pied semble avoir la jambe un peu frêle.
L'impression se dissipe heureusement très vite ; après un temps, comme sur quelques autres titres, tout finit par mettre en place et la richesse de la musique d'Elvin Bishop donne alors sa pleine mesure. Très tôt dans le concert Elvin invite Shemekia Copeland à monter sur scène et là encore le temps de flottement du départ débouchera sur un bon moment (« Black Cat Bone »), avec il faut le dire une Shemekia épatante.
Sans surprise, Elvin délaisse à plusieurs autres reprises le micro. La belle voix chaude Bobby Cochran se fait alors entendre - ou parfois celle d'Ed Earley - contrastant alors avec les sonorités plus rudes d'Elvin. Celles de sa voix mais aussi celles de sa guitare sur quelques blues plus direct comme « What The Hell Is Going On ». L'impression initiale est bien loin lorsque Elvin attaque par moments les notes avec une vigueur telle que sa guitare hache l'air en mouvements brutaux. Ce n'est pas le cas pour « Honest I Do » où le glissement du bottleneck vous emporte jusque vers Hawaï. Un autre morceau de son prochain album que l'on découvre est « Hey-Ba-Ba-Re-Bop ». Cette création de Lionel Hampton, pièce joyeuse, semble parfaite pour intégrer le répertoire d'Elvin.
Les années Capricorn sont bien représentées et j'ai l'impression qu'elles tiennent une place plus importante que sur le « That's My Thing » qui capture un concert de fin 2011 sur DVD. En fait d'années Capricorn, de mémoire, seuls les deux premiers LPs me semblent exploités mais j'y rajoute inconsciemment « Party Till The Cows Come Home », qui quoi qu'enregistré dès « Feel It ! » en 1970, m'a toujours paru sortir des sessions Capricorn. L'irrésistible « Travelin Shoes » ainsi que « Juke Joint Jump » permettent à Bob Welsch, auteur par ailleurs de nombreux solo, et à Elvin de faire naitre de leurs deux guitares slidées ce son si particulier qui s'il était né avec Johnny V, n'a pas pour autant disparu aujourd'hui et parait même se faire entendre plus souvent. On le retrouve pour le nostalgique « Arkansas Line » qui voit Elvin s'assoir un moment et S.E. Willis prendre l'accordéon.
Les sonorités gospel sont chères au coeur d'Elvin, comme le montre l'interview et c'est sans surprise que ce bon vieux « Rock My Soul » figure sur la set list mais Elvin Bishop nous gratifie aussi ce soir de « Sure Feels Good ». Gospel, country, blues, rock sudiste, sonorités de la Nouvelle Orléans, que sais-je encore... J'en entends plus d'un qui est frappé par la richesse de la musique proposée et je repense à cette phrase d'Elvin « Je suis juste un type bizarre avec une musique différente de toutes les autres. ». Différente, inclassable et qui laisse un sacré souvenir. C'est quand qu'il revient Elvin ?